21 décembre 2025

millions d’euros investis mais moins de voyageurs : les défis de la ligne Tours-Loches pour regagner sa fréquentation

64 millions d’euros ont été engagés sur la ligne Tours-Loches pour renouveler la voie et sécuriser l’avenir. Pourtant, la fréquentation marque le pas, avec des gares qui ont perdu jusqu’à 80% de leurs voyageurs en dix ans. Entre concurrence du car, temps de trajet et fiabilité chahutée, les défis s’accumulent alors que la région vise une récupération trafic ambitieuse d’ici 2040.

Les gares proches de Tours tiennent, ailleurs c’est l’hémorragie. Les élus défendent l’investissement et parient sur la démographie, les associations demandent des mesures concrètes dès maintenant. Le débat s’installe au cœur de la mobilité quotidienne en Sud Touraine.

Tours-Loches : 64 millions d’euros, fréquentation en berne

Le contraste est frappant. La ligne Tours-Loches a bénéficié de plus de 64 millions d’euros d’investissement public depuis 2021. Les premiers travaux ont permis de lever des ralentissements, et une seconde phase, engagée à l’automne, se prolonge jusqu’en mars 2026 pour renouveler 12 kilomètres de voie.

Dans le même temps, la fréquentation ne suit pas la tendance régionale. Ailleurs en Centre-Val de Loire, les transports ferroviaires gagnent des voyageurs. Ici, certaines haltes ont perdu les deux tiers de leurs usagers depuis 2015. Cette réalité interroge l’efficacité de l’investissement et la stratégie d’attractivité.

Les gares proches de l’agglomération tourangelle s’en sortent. Esvres affiche 40 000 voyageurs en 2024, soit une hausse estimée à +86% en dix ans. Montbazon atteint 20 000 voyageurs, avec une progression d’environ +62%.

Plus loin, le recul est net. Cormery compte autant de voyageurs qu’Esvres en 2024, mais c’est une chute des deux tiers par rapport à 2015. À Chambourg et Courçay – Tauxigny, la baisse dépasse -70%. À Reignac, on atteint -82%, signe d’un désamour durable.

Le terminus lochois concentre encore près de la moitié du trafic de la ligne. Pourtant, la gare de Loches recule de 22% sur dix ans. Le signal est sérieux pour un bassin de vie qui compte sur la desserte ferroviaire pour soutenir l’emploi, la formation et le tourisme de proximité.

Le vice-président régional en charge des mobilités défend la trajectoire. L’idée est de pérenniser l’infrastructure, d’éviter la fermeture et de préparer l’avenir. Selon lui, le potentiel de développement démographique et économique justifie l’effort et annonce un rebond à moyen terme.

Les associations d’usagers, elles, se montrent plus critiques. Elles saluent l’état de la voie, mais déplorent l’absence de gains sensibles sur le temps de trajet. La concurrence tarifaire du car, sur le même axe, pèse aussi lourd sur la fréquentation.

Dans ce contexte, la question centrale demeure simple. Comment transformer l’investissement en voyageurs concrets, réguliers, fidèles à la ligne Tours-Loches ? Les réponses se trouvent à la fois dans l’offre, le prix et la fiabilité.

Chiffres-clés de la ligne en 2024

Quelques repères aident à comprendre la dynamique locale et à situer les gares qui résistent, ou décrochent. Les données ci-dessous illustrent des évolutions contrastées, souvent liées à la proximité de Tours et aux besoins pendulaires.

Gare Voyageurs 2024 Évolution 2015–2024 Commentaire
Joué-lès-Tours 66 000 +1% Partagée avec la ligne Tours–Chinon, trafic stable.
Montbazon 20 000 +62% Effet couronne périurbaine, horaires utiles aux actifs.
Esvres 40 000 +86% Bonne connexion avec la métropole tourangelle.
Cormery 40 000 –66% Repli marqué malgré un volume encore conséquent.
Chambourg 3 500 / an –73% Fréquentation très faible, à peine une dizaine/jour.
Courçay – Tauxigny 3 500 / an –80% Arrêt peu utilisé, temps d’arrêt qui pèse sur le trajet.
Reignac Faible –82% Perte durable d’usagers sur la décennie.

Ce tableau rappelle une réalité crue : la ligne tient par ses gares proches de Tours. Pour regagner du terrain ailleurs, il faudra agir sur l’offre, la vitesse commerciale et la politique de prix. C’est là que se joue la prochaine étape.

Prix, cars, minutes perdues : les freins à la reprise

Pourquoi la fréquentation décroche-t-elle malgré un investissement massif sur les infrastructures ? Plusieurs causes se cumulent. Elles touchent le portefeuille, la vitesse et la fiabilité, trois leviers décisifs pour la mobilité du quotidien.

D’abord, le prix. Le car effectuant un itinéraire comparable coûte souvent autour de 3 €, quand le train revient plutôt à 10 € à l’unité. Pour un foyer, l’arbitrage est rapide, surtout pour des trajets répétés. Lorsque l’horaire du car coïncide avec celui du train, l’effet d’éviction est immédiat.

Ensuite, le temps de trajet. Avant les limitations, il fallait environ 57 minutes pour relier Loches à Tours. Après les travaux récents, le chronomètre reste le plus souvent autour de 60 à 62 minutes. L’amélioration attendue n’a pas été ressentie par les voyageurs, qui regardent d’abord leur montre.

Autre frein, la régularité. Les usagers décrivent des suppressions et des annulations qui fragilisent la confiance. Partir sans certitude, c’est renoncer à organiser sa journée, et basculer vers la voiture, par sécurité. Ce réflexe abîme la relation avec la ligne.

À cela s’ajoute un sentiment de concurrence mal arbitrée entre le rail et le car. Quand les deux offres roulent en parallèle, aux mêmes horaires, leur complémentarité disparaît. Le car devient l’option par défaut pour des raisons de prix, même si le train propose un confort supérieur et une capacité plus importante.

Le temps d’arrêt dans les haltes peu fréquentées pèse aussi. Chaque arrêt représente environ trois minutes, freinage et remise en vitesse inclus. Sur plusieurs arrêts, la pénalité s’accumule et décourage les pendulaires pressés.

Ce qui compte pour les usagers au quotidien

  • Stabilité des horaires : arriver à l’heure au travail ou au lycée.
  • Rapidité : gagner 5 à 7 minutes change un correspondance TRAM ou bus.
  • Prix lisible : alignement train/car pour éviter la fuite des voyageurs.
  • Places assurées : trains ni vides ni saturés, gage de confort.
  • Information fiable : alerte en cas d’aléa, solution de repli immédiate.

Le contexte national n’est pas neutre. Avec des coûts de l’énergie élevés et une inflation tenace, chaque euro compte en 2025. Partout, les opérateurs cherchent à améliorer la qualité de service, tout en lissant la fréquentation sur l’année.

Ces sujets sont familiers dans d’autres régions, où la reprise ferroviaire s’appuie sur des gains réguliers et des offres tarifaires attractives. Tours-Loches n’échappe pas à ces règles. C’est par des ajustements concrets que la reprise s’ancre.

Regards locaux : ce que disent élus et voyageurs

Dans les communes de la vallée de l’Indre, chacun observe la ligne à hauteur de vie quotidienne. Les élus rappellent l’enjeu de long terme. Les voyageurs, eux, veulent des résultats rapides : moins d’attente, des trains à l’heure, et des tarifs lisibles.

Du côté de la région, le message est clair : l’action a d’abord évité la fermeture. L’investissement garantit la tenue de la ligne sur quinze ans. L’exécutif régional insiste sur le potentiel démographique et économique pour enclencher, demain, une dynamique durable.

Les associations d’usagers répliquent que l’infrastructure rénovée doit se traduire par du temps gagné. Elles prônent l’optimisation des arrêts, des grilles horaires et des correspondances. À leurs yeux, c’est la condition pour enclencher une récupération trafic visible dès la fin des travaux.

Les témoignages de terrain donnent chair aux chiffres. Lucie, aide-soignante à Esvres, commence souvent son service avant 7 heures. Elle explique avoir basculé vers le car, puis la voiture, quand le premier train n’assurait pas l’arrivée à l’heure au CHU.

Marc, artisan à Loches, regrette les annulations de fin de journée. Un train manqué signifie une course contre la montre pour récupérer ses enfants, et des kilomètres en plus. Il garde sa carte de réduction, mais ne la sort plus aussi souvent.

À Cormery, des lycéens racontent les correspondances ratées avec le tram à Tours. Cinq minutes de moins changeraient tout, disent-ils. Quand la solution se joue à quelques minutes, la fidélité à la ligne dépend d’un réglage fin.

Les commerçants du centre de Loches observent la même chose. Les visiteurs du samedi, attirés par le marché et la cité royale, viendraient plus nombreux si l’aller-retour était simple, rapide et fiable. Le train est un facilitateur, à condition de tenir ses promesses.

Dans les petites haltes, comme Courçay – Tauxigny, on croise surtout des usagers occasionnels. Les habitants aimeraient garder l’arrêt, mais reconnaissent son faible usage. D’où l’idée, parfois acceptée localement, d’un service “semi-direct” aux heures de pointe.

Les chauffeurs de car, eux, soulignent leur rôle d’appoint. Ils remplissent bien, car ils sont bon marché et réguliers. Leur mission pourrait s’articuler avec le rail, si les horaires étaient repensés pour se compléter, et non se chevaucher.

Le fil rouge de ces témoignages est limpide : confiance, lisibilité, simplicité. C’est à ce prix que les voyageurs reviennent, et que l’investissement devient bénéfice partagé dans tout le Sud Touraine.

Mesures concrètes pour regagner des voyageurs rapidement

La ligne Tours-Loches peut inverser la courbe. Les leviers sont connus et déjà testés ailleurs. Il s’agit d’aligner l’offre sur les besoins réels et d’attaquer chaque minute inutile.

Premier axe : une desserte semi-directe aux heures de pointe. En limitant les arrêts à Joué-lès-Tours, Montbazon, Esvres et Cormery sur quelques trains, on économise plusieurs minutes. La promesse d’un Tours–Loches à ≈ 55 minutes devient crédible.

Deuxième axe : une grille horaire orientée pendulaires. Un premier train tôt pour les métiers hospitaliers et industriels. Un dernier retour plus tardif pour couvrir les amplitudes du tertiaire et des services.

Troisième axe : la cohérence tarifaire. Réduire l’écart entre car et train, au moins sur les abonnements, pour stopper la fuite vers l’autocar. Des offres “couplées” bus + rail, valables sur tout le corridor, clarifieraient le jeu.

Quatrième axe : la fiabilité. Mieux vaut un train un peu plus lent mais sûr, qu’un service théorique sans cesse bousculé. Une information temps réel, des bus de remplacement garantis et visibles, et un service après-vente réactif reconstruisent la confiance.

Cinquième axe : l’intégration au SERM de Tours. À l’horizon 2040, passer de 6 à 18–24 allers-retours quotidiens suppose des investissements ciblés : croisements facilités, sections à double voie et signalisation adaptée. Cet effort structurel consolidera les gains de court terme.

Plan d’action proposé, du court au long terme

  • Immédiat : articuler horaires car/train pour la complémentarité.
  • 3–6 mois : lancer deux allers-retours “semi-directs” par jour.
  • 6–12 mois : ajuster la tarification pour lisser l’écart avec le car.
  • 12–24 mois : fiabiliser la régularité avec des plans de secours cadrés.
  • Structurant : créer des points de croisement et préparer la double voie.

Ces mesures ne s’opposent pas aux cars. Elles les utilisent pour irriguer les haltes les moins fréquentées et rabattre vers les trains plus rapides. La complémentarité remplace la concurrence, au bénéfice des usagers.

La clé, enfin, tient à l’animation du corridor. Des campagnes locales, des partenariats avec les employeurs et les lycées, et des billets événementiels pour les marchés ou festivals peuvent déclencher de nouveaux réflexes. C’est ainsi que la récupération trafic s’installe durablement.

Comparaisons régionales et cap 2040 pour la ligne Tours-Loches

Dans la région, d’autres axes servent de référence. La ligne Tours–Chinon bat des records depuis sa relance. Sur Paris–Tours via Châteaudun et Vendôme, plusieurs gares ont doublé, voire triplé leur trafic. Ces succès montrent qu’un service lisible et régulier attire des voyageurs.

Ces lignes ont misé sur des grilles horaires cadencées, des correspondances soignées et une communication continue. Les gares ont été rendues plus accueillantes, avec de petites améliorations qui changent le quotidien : abris, éclairage, stationnement vélo sécurisé. L’expérience globale compte autant que la vitesse pure.

Au niveau national, la demande se redresse. Le rail progresse, tiré par des coûts routiers instables et par la recherche d’alternatives plus sobres. Les opérateurs font face à un défi partagé : améliorer la qualité tout en contenir les dépenses, afin de protéger le pouvoir d’achat.

Pour la ligne Tours-Loches, le cap 2040 est précis. Intégrée au SERM de Tours, elle doit tripler, voire quadrupler son offre quotidienne, de 6 allers-retours aujourd’hui à 18–24. Cette montée en puissance suppose des infrastructures renforcées : sections à double voie pour le croisement des trains, et une signalisation permettant des intervalles plus courts.

La cohérence tarifaire restera un point dur. Tant que le car proposera un billet à 3 € quand le train en coûte 10 €, la comparaison sera défavorable. La solution passera par des abonnements attractifs, des titres intégrés multimodaux et des offres territoriales ciblées.

La dimension touristique compte aussi. Loches, sa cité royale, ses marchés, ses itinéraires vélo peuvent bénéficier d’un rail plus rapide et fiable. À l’heure où les voyageurs cherchent des destinations plus calmes et authentiques, l’axe Tours-Loches peut capter une part de cette envie, si l’accès est simple et régulier toute l’année.

Le bassin de vie évolue. Télétravail, nouveaux habitants, rotations scolaires : la demande s’étale et se diversifie. Une offre plus dense, mieux cadencée, répondra à cette réalité, au-delà des seules pointes du matin et du soir.

Reste la question de la confiance. L’investissement ne vaut qu’avec un résultat tangible au guichet et sur le quai. Gagner quelques minutes, réduire l’aléa, clarifier le prix : c’est la trilogie qui fera revenir les usagers sur la ligne Tours-Loches, et transformera les millions d’euros engagés en bénéfices quotidiens pour tout le Sud Touraine.

Antoine.76

Journaliste passionné de 42 ans, je parcours le monde pour raconter les histoires qui l’animent. Curieux, rigoureux et toujours en quête de vérité, j’aime donner la parole à celles et ceux qu’on entend rarement. La transmission et l’information sont au cœur de mon engagement quotidien.

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